Il y’a une semaine, j’ai eu le privilège de rencontrer Gareth Edwards, le réalisateur de Star Wars Rogue One, lors d’une conférence de presse en très petit comité ! Nous avons pu lui poser plein de questions sur le tournage du film et sa vision de l’univers imaginé par Georges Lucas. Il s’est montré particulièrement bavard, et nous a raconté énormément d’anecdotes et d’histoires autour de cette incroyable expérience qu’est la réalisation d’un film Star Wars. Bonne lecture :)

Vous avez réalisé des films à très petit budget auparavant, comment aborde t-on un long métrage colossal comme Star Wars Rogue One ?

Les deux côtés se ressemblent fin de compte. Dans une grosse production le réalisateur est vraiment dans une bulle, assez coupé du reste de l’équipe (des centaines de personnes). On est assez protégé sur des films à très gros budget : je ne parlais qu’aux comédiens, l’assistant réalisateur et le directeur de la photo. C’est assez dingue comme ambiance.

Mon premier film était un film indépendant à très petit budget… En fait ces deux modes de fonctionnement ont leurs avantages… Sur une petite production, on vous demande « Comment êtes vous arrivé à ce résultat avec si peu de moyens ? » Mais j’aimerais qu’on me demande la même chose sur un film à gros budget car la difficulté est bien là, même si elle est différente. La pression est énorme, la gestion des équipes, du tournage etc… C’était donc pour moi très important de réaliser un film en combinant mes deux expériences.

Nous avons fait un Livre des Règles avec le directeur de la photo. Par exemple, nous ne mettions pas de marques au sol pour les acteurs, ils étaient assez libres de se déplacer, nous avions également des décors avec des plans à 360°… Du coup, pendant le premier jour de tournage, on s’est retrouvé avec des centaines de personnes dans le champs de la caméra… Le lendemain tout le monde, moi y compris portaient des costumes de Star Wars !

Comment manipule t-on une mythologie telle que Star Wars, surtout lorsqu’elle est déjà bien installée ?

Nous avons rencontré un problème assez singulier. D’habitude on commence avec une idée de départ, et on trouve le cheminement vers la fin. Pour Rogue One, tout le monde connait déjà la fin qui connecte le film avec le reste de la saga… il fallait donc procéder de façon inverse et remonter la trame.

Nous avons donc cherché tous les ingrédients originels que l’on trouve dans les premiers films Star Wars, mais en les repensant, en les travaillant d’une manière un peu différente. Par exemple, nous avons essayé de retirer de l’histoire tous les éléments fantastiques de science-fiction, pour traiter le récit comme un film historique. Ainsi, l’Etoile de la Mort peut-être vue comme une Arme Nucléaire de Destruction Massive… Il y plusieurs années, j’avais travaillé à la BBC, et avais réalisé un documentaire sur Robert Oppenheimer, l’inventaire de la bombe nucléaire. C’est un personnage très intéressant, qui éprouve beaucoup de remords et de culpabilité. Il a donc été la source d’inspiration principale pour le Père de Jyn, qui est un des concepteurs de l’Etoile de la Mort, que l’Empire a enrolé.

On a donc bien les ingrédients de base communs aux films Star Wars : la famille complexe et déchirée, les pêchés du père qui cherche la rédemption, le manichéisme, la Super-Arme. C’est vraiment la colonne vertébrale du film qui a mis du temps à se dessiner.

Pourriez-vous nous raconter votre collaboration avec Greig Fraser qui a réalisé un travail incroyable sur Zero Dark Thirty. Comment est-il arrivé dans le projet Rogue One ?

J’ai rencontré beaucoup de gens très talentueux quand j’ai constitué mon équipe, et peu importe leur planning ou leurs projets, ils étaient tous prêts à trouver le temps ou abandonner ce qu’ils faisaient pour travailler sur un film Star Wars. J’avais une vision précise de ce que je ne voulais pas faire dans Rogue One. Je ne voulais pas d’un film holywoodien « glossy », lisse… Je voulais quelque chose qui soit réel, sans limitations pour les acteurs, qu’ils se sentent libres…

Et cette approche est très compliquée pour un directeur de la photographie, qui a besoin de savoir précisément où seront les acteurs, pour régler la lumière, les caméras… Quand j’ai rencontré Greig, il avait exactement la même vision que moi, il voulait quelque chose de très travaillé artistiquement, avec une sensation réaliste, vivante, « organique ». Je me suis dit que c’était le candidat idéal ! Nous avons donc créé ce fameux Livre des Règles, et écrit toutes les choses que nous ne voulions pas mettre dans le Rogue One !

Nous avons fait plusieurs plans dans des vaisseaux maquettes, avec des cockpits montés sur des bras robotisés, et de gigantesques écrans LCD positionnés tout autour, projetant des images de trajets spatiaux. Nous nous enfermions à l’intérieur pour tourner des scènes à 360° avec les acteurs. Nous avions l’impression d’être dans un vrai vaisseau, et lorsque le tournage s’achevait, et que les portes s’ouvraient, nous avions oubliés que nous étions dans un studio à Londres. C’était incroyable… Nous avons essayé au maximum de réaliser le film avec des caméra (ndla: et non sur fond vert, avec ajouts en post production).

Dans l’industrie du cinéma il existe 2 grands constructeurs historiques rivaux : Panavision et Arri. Ce sont un peu nos Pepsi et Coca-Cola à nous. Pour la première fois, Greg a réussi à réunir ces deux constructeurs pour le film : il avait ce magnifique Objectif 70mm anamorphique Panavision des années 60, qui avait été utilise pour Ben-Hur, et cette caméra digitale 65mm ultra moderne iMAX Arri… Il a connecté les deux ensemble pour avoir à la fois cette superbe résolution iMAX, mais avec le grain presque « analogique » d’un objectif d’antan…

Beaucoup de nouveaux concepts sont introduits dans le film (vaisseaux, Deathtroopers…)… Comment avez vous géré l’équilibre entre l’héritage intouchable de la saga, et ces nouveaux éléments… ?

Je suis un très grand fan de Star Wars… J’ai vu les films des dizaines de fois, et ai même dormi sur le set original de tournage de Tatooine, en Turquie quand j’avais 30ans. Le premier truc qui arrive quand on devient réalisateur d’un film Star Wars, est qu’on rassemble toutes nos références, toutes nos connaissances sur l’univers de la saga, pour essayer de tout mettre dans le film. Les producteurs m’ont laissé me rendre compte par moi même que c’était impossible… « Laissons lui un jour ou deux pour qu’il atterrisse ». J’ai donc commencé à être très sélectif sur ce que je voulais faire.

Au début, il y’a une scène avec des stormtroopers, qui sont censés être vraiment intimidants. Au départ nous avons repris le design classique, mais il ne nous semblait pas assez effrayant… Tout le monde sait que lorsque des Stormtroopers tirent, ils ratent leur cible (rires). Nous voulions créer quelques chose qui se rapproche d’une escouade du SAS, ou du SEAL… Nous avons fouillé les archives de Lucasfilm et avons trouvé des design originaux vraiment cool de Ralph McQuarrie, représentant des soldats grands, fins… Nous avons donc casté des acteurs ayant ce type de morphologie, et leur avons mis des armures très fines. C’est de toute façon la partie la plus fun de la conception du film : tout ce qui attrait au design général des robots, des vaisseaux etc… On avait l’impression d’être à nouveau des gosses ! Ce fut une partie très longue… K-2SO, le nouveau robot nous a pris presque 1 an de travail. En fait on a l’aspect final en 1 mois, et on passe les 11 suivants à peaufiner, améliorer…

Ce soucis du détail est très important pour moi, car ce sont des choses qui resteront toute la vie, comme tout ce qui attrait à Star Wars. Le vrai test, pour voir si ce qu’on a créé est bien, ça ne sera pas à la sortie du film en décembre, mais plutôt dans 15 ans : si des gens portent encore un T-Shirt de Death Troopers, alors on saura qu’on a réussi !

Quels ont été votre meilleur souvenir et votre moment le plus difficile durant le tournage ?

Il y’en a tellement … Le problème lorsqu’on tourne Star Wars, c’est que c’est très secret. On ne peut parler à personne de ce que l’on fait ! Aujourd’hui… tout le monde sait que l’on va voir Dark Vador dans le film … Et donc lorsque nous avons tourné ces scènes, j’avais envie de courir dans la rue et criant à tout le monde « j’ai tourné avec Dark Vador aujourd’hui !!! » Mais tu ne peux pas … En comparaison, lorsque mes amis me racontaient leur journée… Je me disais… « Les gars si vous saviez… »

Je me rappelle aussi qu’un jour, alors que je discutais avec Felicity (Jyn Erso), un mec est apparu sur le plateau. Et c’était Mark Hamill. Et dès que je l’ai vu je n’écoutais plus ce qu’elle me racontait (rires). Je lui ai dit « Désolé Felicity, mais il faut qu’on aille voir Luke Skywalker. Il avait mis un Tee Shirt Godzilla, qui était le dernier film que j’avais réalisé à ce moment là. C’était étrange, j’étais nerveux car c’est un héros pour moi, je ne l’avais jamais rencontré avant…

Tout ça pour dire qu’au final, tous les jours il se passait quelque chose d’incroyable, qui aurait pu être l’événement d’une vie si je n’avais pas choisi cette carrière là. Et puis c’est devenu normal, je me suis habitué. En allant faire une course un jour, je suis tombé sur 2 Deathtroopers en PLV dans un magasin, et j’ai réalisé que l’univers du film était sorti du studio, que la pub était là. Tout ce qui avait été très personnel, très secret pendant des mois, était en train d’envahir le monde. C’est très étrange comme sensation.

Quel est le secret pour obtenir cette alchimie entre les quêtes personnelles des personnages et la grande fresque de l’histoire ?

Il faudrait 2 ans pour répondre à votre question, mais je peux vous dire que j’ai avant tout voulu faire un film centré sur les personnages ! Il y’en a beaucoup à présenter, avec chacun une personnalité et surtout un but, un cheminement, une histoire propre. On raconte l’histoire du film en partant des héros. Je suis parti du personnage de Jyn joué par Felicity en tout premier. Puis très vite j’ai senti qu’il nous fallait un personnage qui incarnait l’idéologie, la croyance dans la Force, car il n’y a pas de Jedi dans le film. On est également remonté aux sources d’inspiration initiales de Georges Lucas, notamment « La Forteresse Cachée » de Kurasawa, dans lequel on peut trouver l’influence qui a donné naissance à R2D2 et C3PO. On a poursuivi cette mécanique de duo, en écrivant 2 personnages un peu contraires, non droïdes cette fois, qui se querellent un peu tout le temps : Baze et Chirrut joués par Jiang Wen et Donnie Yen.

On voulait également que Bohdi Rook fasse parti du casting. Je voulais qu’il joue un personnage qui se retrouve embarqué dans l’histoire malgré lui, qui ne veut pas être là, un peu comme Dennis Hopper dans Apocalypse Now. D’une manière générale, à chaque fois que j’avais un doute sur l’intérêt d’un personnage, ou que je le trouvais un peu faible, je décidais de le réécrire. Au final je suis très satisfait de l’équilibre général de Rogue One.

Comment avez-vous vécu le fait d’avoir été choisi pour réaliser un film Star Wars ?

Probablement une erreur (rires)… Je sortais tout juste de mon premier gros film (Godzilla) j’étais épuisé, je voulais me reposer et réfléchir à ce que j’allais faire ensuite… Et puis j’ai reçu un email de Lucasfilm… Je ne pensais absolument pas qu’ils allaient me proposer de faire un film, donc je les ai rencontré en étant très détendu… Nous avons longuement discuté de Star Wars, puis quelques jours après, j’ai reçu un autre email avec 2 idées de film en pièces jointes : le premier ne me correspondait pas. La deuxième par contre était directement en phase avec ce que j’aimais, avec mes films Star Wars préférés…

Pendant longtemps je me suis dit qu’ils envisageaient probablement d’autres réalisateurs pour le film… Et puis au fur et à mesure des réunions et entretiens, je me suis rendu compte que j’étais le seul avec qui ils discutaient. Jusqu’au dernier moment, je n’en ai parlé à personne ! Pas même à ma famille. Et puis un jour j’ai reçu un coup de film : « C’est ok, le contrat va être signé, tout Internet va être au courant dans 10 minutes, si tu veux le dire à quelqu’un avant, c’est maintenant ! » J’ai donc appelé ma mère en facetime immédiatement, pour voir sa réaction en live !

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